dimanche 17 janvier 2021

L’ O U R O B O R O S

L’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, symbolise un cycle d'évolution refermé sur lui-même. C’est un symbole très ancien, que l'on rencontre dans de nombreuses cultures et sur tous les continents. Sa représentation la plus ancienne connue est égyptienne, elle date du XVIe siècle avant notre ère. Présent en Mésopotamie, l'Ouroboros se rencontre surtout en Égypte depuis la XVIIIe dynastie où il est mentionné dans les textes des pyramides. Il y a notamment  l’exemple une des chapelles dorées de Toutânkhamon. Le symbole va être fréquemment employé : on le trouve sur les cercueils et sur les vignettes des papyrus dits mythologiques. Il semblerait qu'à l'origine on ait considéré l'Ouroboros comme marquant la limite entre le Noun (l’Océan primordial qui a fait la Vie et qui fera la Mort) et le monde ordonné. Entourant la totalité du monde existant, il symbolise le cycle du temps et de l'éternité. L'Ouroboros fut parfois représenté encerclant le soleil naissant à l'horizon, figurant ainsi la renaissance de l'astre du jour chaque matin. Il fut perçu comme un symbole de résurrection, d'où sa présence sur les cercueils. Outre son rôle protecteur, on l'a aussi considéré comme un signe d'anéantissement. L’Ouroboros représente le début et la fin de toutes choses, il symbolise l'espoir et de renouveau. Les Phéniciens ont hérité de cette représentation des Égyptiens et l’ont à leur tour transmises aux Grecs. L'Ouroboros apparaît également dans les mythologies aztèques et nord-américaines, en Australie dans le Tjukurpa, en Inde et dans la mythologie nordique. 

Ce symbole contient en même temps les idées de mouvement, de continuité, d'autofécondation et d'éternel retour. Cette connotation circulaire et cyclique fit du serpent Ouroboros le symbole des paradoxes et de l’enchevêtrement indémêlable de causes et de conséquences.

La forme circulaire de l'image a donné lieu à une autre interprétation : l'union du monde « né de la terre », appliqué aux dieux infernaux, figuré par le serpent, et celui du monde céleste, figuré par le cercle. Cette interprétation serait confirmée par le fait que l'Ouroboros, dans certaines représentations est moitié noir, moitié blanc. Il signifierait ainsi l'union de deux principes opposés : le ciel et la terre, le bien et le mal, le jour et la nuit, tel le Yin et le Yang chinois, et toutes les valeurs dont les opposés sont les porteurs.

L’Ouroboros est l’emblème de l’éternel retour et du caractère cyclique du temps. Son symbolisme rejoint celui du phénix qui renaît constamment de ses cendres. Avant de concevoir un temps linéaire, avec un début (la Création) et une fin (Le Jugement dernier), le temps était perçu dans sa forme cyclique. Dans la préhistoire, puis dans l’antiquité, les événements liés au temps cyclique (naissance-mort-renaissance) étaient en réalité perçus ou imaginés comme des lieux. Les humains venaient au monde à la surface de la terre, à leur mort, ils étaient rendus à la Déesse-terre. Elle les régénérait à l’intérieur de ses entrailles et ils renaissaient. Le serpent est une figure de la Grande déesse, mère des vivants et des morts. Les divinités du ciel n’interviennent pas dans la procréation, ni dans la régénération. Ciel et Terre sont séparés. Entre-les deux, à la surface de la terre, vivent les humains, les animaux, la végétation. La surface de la terre est le lieu de l’incarnation végétale, animale et humaine.
Plus tard, les divinités ouraniennes (du ciel) se marient avec les divinités de la terre profonde (les Enfers). La surface de la terre est poreuse ; les dieux et déesses circulent librement entre les deux pôles, céleste et terrestre.

Le soleil se lève à l’Est, se déplace en arc de cercle vers l’Ouest où il meurt (il disparaît sous la surface de la terre, ou de la mer pour être régénérée par la Grande Mère), puis ressuscite à l’aube suivante, à l’Est. Il a effectué un cercle (cycle) complet en vingt-quatre heures. Symboliquement, on représente ce cycle par l’Ouroboros. Il encercle l’œuf cosmique qui contient la totalité de l’univers. Le cercle, le globe, l’œuf sont des images de la totalité  de l’univers.

Entraînant le mouvement des astres, l’Ouroboros est sans doute la première figuration du zodiaque. Pourtant privé de membres propulseurs, il se meut avec une rapidité étonnante. C’est cette puissance intérieure qui le fit prendre par les Égyptiens comme le symbole du mouvement cosmique, de la marche des astres dans l’espace, et donc de la course du temps dans la succession ininterrompue de ses phases.

Contrairement au cercle figé et au disque, le serpent qui se mord la queue, s’il représente le temps cyclique, peut néanmoins avancer de façon linéaire lorsqu’il dévale une pente, par exemple. La roue ne fait pas que tourner sur elle-même, quand elle touche le sol, actionnée par une force qui lui est extérieure, elle pousse le sol vers l’arrière, ce qui la propulse en avant. Le cercle, qui représente le Tout, se déplace d’arrière en avant, c’est-à-dire du passé vers l’avenir, il avance dans l’espace et le temps. Le symbolisme de l’Ouroboros rejoint alors celui du caducée qui est l’un des attributs du dieu Hermès dans la mythologie grecque, représenté comme une baguette de laurier ou d'olivier surmonté de deux ailes et entouré de deux serpents entrelacés.

Dans la mythologie gréco-romaine, l’Ouroboros est l’attribut de Saturne, fils de Cœlus, dieu du temps appelé par les Grecs Chronos. Il est représenté sous l’aspect d’un vieillard qui tient une faux dans la main droite et de la gauche l’Ouroboros, car dans la continuité du temps, le dernier jour du mois rejoint le premier jour du mois suivant. De même, d’une année à l’autre et sans discontinuité, le premier mois de l’année suit le dernier mois de l’année précédente, de la même façon que se rejoignent la tête et la queue de l’animal. Son symbolisme rejoint celui de Janus, représenté par deux visages opposés, l’un jeune, tourné vers l’avenir, l’autre, vieux, tourné vers le passé.

L’ouroboros durant le Moyen Âge, est un des emblèmes de l’initié, dans les milieux religieux et dans certaines confréries laïques. Il fut le symbole des révélations successives de la science, de la connaissance réservée à l’élite, et du silence qui imposé à l’initié. 

À la Renaissance, ce symbole rencontre beaucoup de succès, notamment grâce au néoplatonisme de Pic de Mirandole et de Marsile Ficin. On retrouve le motif au revers des médailles à l’effigie des princes et des seigneurs. L’image symbolisait leurs qualités morales, intellectuelles et politiques.

L’image du serpent qui se mord la queue représente le cercle sous une forme animale, incarnant l’éternel retour, l’idée qu’un nouveau début coïncide avec la fin du cycle dans une répétition perpétuelle. Ou que le début et la fin sont une seule et même chose.
Cette idée se confond à celle qui veut qu’à travers sa mue, le serpent se rajeunit perpétuellement. La forme circulaire, symbole de perfection et d’éternité signale l’existence d’une transcendance, celle d’où toute chose est sortie et à laquelle elle retourne. Un renouvellement perpétuel qui passe sans cesse par les mêmes phases de mort et de résurrection. Ces phases constituent l’initiation qui nous permettra de nous libérer du cycle pour atteindre la grandeur qui échappe à notre compréhension et à nos sens.  Le symbole de l’Ouroboros est donc proche du saṃsāra, terme qui désigne le cycle infini des renaissances. Les hommes naissent, meurent et renaissent sans cesse dans un cycle infini. Assis sous l'arbre de l'éveil, Bouddha se remémora ses vies antérieures et prit conscience du samsāra. 

La condition dans laquelle on renaît dépend de nos vies passées et de nos actes présents, par le phénomène du karma. 

« Dans ce monde, chacun est soumis à la grande chaîne des causes et des conséquences, de la succession des renaissances et des morts, que l'on appelle la loi karmique. On compare généralement la cause à la graine et la conséquence au fruit. On récolte les fruits du karma sous forme de bonheur ou de malheur selon la nature des actes commis. Chaque pensée, chaque action, chaque parole laissent des empreintes vibratoires, des semences karmiques et ces empreintes mûrissent, lesquelles attirent vers nous des conséquences correspondantes ou de même nature, et forment ce qui nous arrive, notre réalité personnelle. »

En terme littéral, le mot sanskrit samsāra signifie
« l’ensemble de ce qui circule », il est représenté par la roue. On peut l’assimiler comme l’état d’être lié à l’avidité, la haine et l’ignorance, ou comme un voile d’illusion qui cache la vraie réalité. Dans la philosophie bouddhiste traditionnelle, l’être est piégé dans le samsāra, vie après vie, jusqu’à ce qu’il trouve l’éveil par l’illumination.

« Nous ne faisons pas que créer des mondes, nous nous créons nous-mêmes. Nous sommes tous des processus de phénomènes physiques et mentaux. Le Bouddha a enseigné que ce que nous considérons comme notre moi permanent, notre ego, notre conscience de soi et notre personnalité, ne sont pas fondamentalement réel. Notre être est continuellement régénéré en fonction des conditions et des choix antérieurs. D’instant en instant, nos corps, nos sensations, nos conceptualisations, nos idées, nos croyances et notre conscience travaillent ensemble pour créer l’illusion d’un moi permanent et distinct. »

Notre réalité « extérieure » est dans une large mesure la projection de notre réalité « intérieure ». Ce que nous prenons pour réalité est conçu en grande partie par nos expériences subjectives du monde. D’une certaine façon, chacun de nous vit dans un monde différent, monde que nous créons avec nos pensées et nos perceptions. Tel le serpent qui se mord la queue nous sommes pris en boucle dans notre propre cycle.
Le samsāra contraste avec le nirvana. Le Nirvana n’est pas un lieu mais un état qui n’est ni être ni ne pas être. Quand nous cessons de créer le samsāra, le nirvana apparaît naturellement. Le nirvana, alors, peut être vu comme la vraie nature purifiée du samsara. 

En héraldique, on retrouve cette figure : serpent ou plus rarement dragon plié en rond. L'Ouroboros se retrouve également dans de nombreux logos d'obédience maçonnique tel que le Grand Orient de France. On peut en trouver en héraldique religieuse : Adrien de Touron, prélat de l'abbaye du Coudenberg de Bruxelles, avait pour armes un ouroboros.

En alchimie, l'Ouroboros est un sceau purificateur. Il symbolise l'éternelle unité de toutes choses, incarnant le cycle de la vie de la naissance et la mort. L’acte de se mordre la queue illustre le principe de l’autofécondation. Il s’inocule le feu par les crochets de sa gueule, à sa queue. Il est mâle et femelle et s’apparente symboliquement à l’Hermaphrodite qui est le « rebis » des alchimistes.

Chez les alchimistes des premiers siècles de l’Empire romain, l’Ouroboros est un symbole de l’Œuvre qui n’a ni commencement, ni fin. L’Ouroboros est un gardien du temple de la connaissance. Il est aussi l’emblème du principe actif, la tête, et du principe réceptif, la queue, régénérée par la tête.

Le serpent qui tourne en rond associe et réconcilie :

La vie et la mort

Le début et la fin

L’actif et le passif (qui mange et qui se fait manger)

L’évolution et l’involution

La création et la destruction

L’identité et la transformation

Le limité et l’illimité

L’unité et la dualité

En effet, sur le plan cosmique, l’Ouroboros est autant une identité stable : la source, le dieu créateur omniscient, unique, transcendant, qu’une force de transformation permanente : le cosmos, l’espace-temps, la nature changeante, l’énergie vitale immanente.

Ainsi, nous avons deux types d’énergies : une énergie centralisatrice, pleinement consciente et intelligente, planificatrice, ordonnatrice et stabilisatrice. Une énergie aveugle, contradictoire, chaotique, pulsionnelle, inconsciente mais pleinement vivante au sens « naturel » du terme.

Cette double-énergie rappelle le symbolisme du yin et du yang taoïste. Le yin est féminin, sombre, passif, désordonné, alors que le yang est masculin, lumineux, actif et ordonné.

La signification de l’Ouroboros est double, le serpent relie les contraire, il est à la fois Un et Tout, ordre et chaos, Dieu et cosmos, transcendance et immanence, unité et dualité : il est le résumé du monde. C’est pourquoi il est considéré comme un signe de sagesse et de connaissance.

La sagesse de l’Ouroboros réside donc dans sa capacité à unir le céleste et le terrestre : le cercle transcende le caractère animal du serpent. Dit autrement, l’Amour (l’unité) transcende le mal (la dualité, le venin destructeur). Comprendre l’Ouroboros aide à accepter l’ordre des choses : une démarche qui donne accès à la sérénité et une certaine forme d’immortalité.

La signification de l’Ouroboros en alchimie spirituelle est « Un-le-Tout ». C’est un symbole de première importance : « Un-le-Tout », la totalité qui contient son principe en elle-même. L’Ouroboros peut aussi représenter le cycle alchimique : son venin (eau acide, corrosive) est capable de dissoudre les métaux les plus épais. C’est ce qui permettra de trouver l’or en soi, c’est-à-dire la pureté originelle, forme d’authenticité primordiale mais consciente. En effet, le processus de transmutation alchimique consiste à transformer l’individu lui-même, de l’intérieur. 

L’Ouroboros est symbole de la connaissance parfaite, ou « gnose ». De nombreux courant gnostiques se sont référés et se réfèrent encore aujourd’hui à l’Ouroboros. C’est le cas des sectes ophites (gnosticisme du début de l’ère chrétienne) qui adoraient le « Serpent-Roi ». Ce dernier confère la gnose, c’est-à-dire la connaissance parfaite.

L’Ouroboros : éternité, continuité de la vie, totalité de l’univers, cercle dynamique, roue. Du grec ancien, ourobóros, formé à partir des deux mots « queue » et  « vorace », qui signifie littéralement « qui se mord la queue », il a été latinisé sous la forme uroborus.

Dossier réalisé par Bruno Teste

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L'Ouroboros sur un calvaire du Crotoy dans la Somme 80