vendredi 22 novembre 2024

La triple enceinte

Cette figure a pu être appelée triple enceinte, labyrinthe, carré magique, jeu du moulin ou marelle. Son origine se perd dans la nuit des temps. On la trouve en Égypte, à Troie il y a plus de 5000 ans, dans la vallée de l’Indus, en Irlande à l’âge de bronze. En France, on peut la voir sur des murs de châteaux, d’églises, de commanderies, sur des dallages, des rochers, dans des grottes, le rencontrer sur un cachet d’oculiste gallo-romain. La figure du triple carré se trouve aussi à Rome, dans le cloître de San-Paolo, elle a été relevé plusieurs fois à l’Acropole d’Athènes, sur les dalles du Parthénon et sur celles de l’Erechthéion. La triple enceinte était connue des Celtes et de leurs druides. Enfin, elle illustre assez fidèlement la vision prophétique de la Jérusalem céleste donnée par l’ange Ézéchiel, également la description donnée par Platon du palais de Poséidon en Atlantide, édifié au centre de trois enceintes concentriques reliées entre elles par des canaux, formant une figure analogue à celle dont il est question, mais circulaire au lieu d’être carrée. Il est frappant de voir la ressemblance entre la marelle dite « à 9 pions » et la figure de la triple enceinte. On peut aussi rapprocher cette dernière de certains motifs peints sur thangka tibétains, ou encore du plan de l'un des temples d'Angkor, ou d’une construction d’Uruk en Mésopotamie. La figure du triple carré est donc sans doute un symbole universel, commun à l’humanité. Mais qui peut affirmer aujourd’hui en comprendre la signification ?
















Selon René Guénon : Il s’agirait de la figuration de trois degrés d’initiation, de telle sorte que leur ensemble aurait été en quelque sorte la figure de la hiérarchie druidique ; et le fait que cette même figure se retrouve ailleurs que chez les Celtes indiquerait qu’il y avait, dans d’autres formes traditionnelles, des hiérarchies constituées sur le même modèle, ce qui est parfaitement normal. La division de l’initiation en trois grades est d’ailleurs la plus fréquente et, pourrions-nous dire, la plus fondamentale ; toutes les autres ne représentent en somme, par rapport à celle-là, que des subdivisions ou des développements plus ou moins compliqués. Ce qui nous a donné cette idée, c’est que nous avons eu autrefois connaissance de documents qui, dans certains systèmes maçonniques de hauts grades, décrivent précisément ces grades comme autant d’enceintes successives tracées autour d’un point central. De telles sources sont incomparablement moins anciennes que les monuments dont il est ici question, mais on peut néanmoins y trouver un écho de traditions qui leur sont fort antérieures, et en tout cas, ils nous fournissaient en la circonstance un point de départ pour d’intéressants rapprochements.

Il faut bien remarquer que l’explication que nous proposons ainsi n’est nullement incompatible avec certaines autres, comme celle qui envisage les trois enceintes comme les trois cercles de l’existence reconnus par la tradition celtique ; ces trois cercles, qui se retrouvent sous une autre forme dans le christianisme, sont d’ailleurs la même chose que les « trois mondes » de la tradition hindoue. Dans celle-ci, d’autre part, les cercles célestes sont parfois représentés comme autant d’enceintes concentriques entourant le Mêru, c’est-à-dire la Montagne sacrée qui symbolise le « Pôle » ou l’« Axe du Monde », et c’est là encore une concordance des plus remarquables. Loin de s’exclure, les deux explications s’harmonisent parfaitement, et l’on pourrait même dire qu’elles coïncident en un certain sens, car, s’il s’agit d’initiation réelle, ses degrés correspondent à autant d’états de l’être, et ce sont ces états qui, dans toutes les traditions, sont décrits comme autant de mondes différents, car il doit être bien entendu que la « localisation » n’a qu’un caractère purement symbolique.
Nous ajouterons que, d’une façon générale, le propre de toute interprétation vraiment initiatique est de n’être jamais exclusive, mais, au contraire, de comprendre synthétiquement en elle-même toutes les autres interprétations possibles ; c’est d’ailleurs pourquoi le symbolisme, avec ses sens multiples et superposés, est le moyen d’expression normal de tout véritable enseignement initiatique.
Le sens des quatre lignes disposées en forme de croix et reliant les trois enceintes sont des canaux, par lesquels l’enseignement de la doctrine traditionnelle se communique de haut en bas, à partir du grade suprême qui en est le dépositaire, et se répartit hiérarchiquement aux autres degrés. La partie centrale de la figure correspond donc à la « fontaine d’enseignement » dont parlent Dante et les « Fidèles d’Amour », et la disposition cruciale des quatre canaux qui en partent identifie ceux-ci aux quatre fleuves du Pardes.

Au point de vue du symbolisme numérique, il faut encore remarquer que l’ensemble des trois carrés forme le duodénaire. Disposés autrement, ces trois carrés, auxquels s’adjoignent encore quatre lignes en croix, constituent la figure suivant laquelle les anciens astrologues inscrivaient le zodiaque; cette figure était d’ailleurs regardée comme celle de la Jérusalem céleste avec ses douze portes, trois sur chacun des côtés, et il y a là un rapport évident avec la signification que nous venons d’indiquer pour la forme carrée. Sans doute y aurait-il encore bien d’autres rapprochements à envisager, mais nous pensons que ces quelques notes, si incomplètes soient-elles, contribueront déjà à apporter quelque lumière sur la mystérieuse question de la triple enceinte druidique.

 

Un grand nombre de pierres gravées d’une triple enceinte datent du Moyen-Age, époque où la vie sociale reposait sur des initiations successives, souvent marquées, à chaque échelon, par des cérémonies rituelles. Ainsi, le sacerdoce, le monachisme, la chevalerie, les universités, les cénacles d’alchimistes, les groupements d’hermétistes chrétiens, plus ou moins orthodoxes, les corporations artisanales, industrielles ou agricoles, la batellerie, voire le vol, étaient ritualisés.

En Occident, dans la symbolique chrétienne des figures géométriques, le Carré représente le Monde, qu’il est littéralement la Mappa mundi, la « nappe du monde », notre « mappemonde », le planisphère terrestre et céleste. Cela étant, trois carrés inscrits l’un dans l’autre, avec centre unique, c’est-à-dire formant un seul et même ensemble, représentent les trois Mondes de l’Encyclopédie du Moyen-Age, le Monde terrestre où nous vivons, le Monde du firmament où les astres promènent leurs globes radieux sur d’immuables itinéraires de gloire, enfin le Monde céleste et divin où Dieu réside et, avec Lui, les purs Esprits.

Une autre interprétation de la figure de la triple enceinte, dont l’origine est également bien ancienne, attribue le symbole à la vie physique : la plus grande enceinte est celle de la jeunesse, la seconde, celle de l’âge mûr, la troisième figurant la vieillesse, et le point central, la mort. Ainsi, la vie s’en va, se rétrécissant toujours, jusqu’à ce que l’âme soit libérée de sa gaine charnelle. BT

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